LE PROJET : LA MUTINERIE DE FONTEVRAUD
“Entre les murs de l’Abbaye de Fontevraud, où se sont déroulées 150 années d’histoire carcérale, je propose de faire émerger la vision fantasmatique de ce qu’aurait pu être la prison au moment d’une mutinerie. Cette vision s’inspire des images du démantèlement de l’usage carcéral de l’Abbaye ordonné par les architectes patrimoniaux, puisqu’elles procèdent du même élan.
On imagine les murs trembler, s’effondrer, être désarmés par les mutins, qui ne les laisseront plus jamais enfermer qui que ce soit. On voit les espaces brûler – les cuisines, la grande nef, toutes percées de flammes, envahies de fumée ; le chaos s’abattant sur Fontevraud comme la tempête sur le navire en feu.
Je dépeins ces scènes avec la matière même de l’évasion : de la limaille de fer retenue contre le papier par la force de l’aimantation. Dessiner avec cette poudre de fer, qui pourrait être produite par le détenu limant soigneusement les barreaux de sa cellule, permet de représenter directement la matière de la prison s’égrenant, s’écroulant. A la manipulation, cette poudre de fer produit naturellement des coulures qui évoquent immédiatement des traînées de fumée – comme si la matière dictait d’elle-même le récit de l’évasion, de la mutinerie, en le plaçant sous le signe de l’incendie. Dès lors, l’Abbaye assaillie de l’intérieur se délite, prend feu, comme la surface des verres sur lesquels j’effectue une gravure en projetant des étincelles d’acier incandescent pour dessiner des flammes qui, à l’oxydation, se colorent de tons orangés et dorés.
Ce projet de mutinerie, des moines l’ont réellement imaginé : en 1622, deux d’entre eux mettent le feu à plusieurs endroits de la forêt qui ceinture l’Abbaye. L’un des coupables, Jacques Dantui, finit par se dénoncer : il est défroqué, mis au fer, mais finit par s’évader.
Au croisement de l’anecdote historique et de l’imaginaire dicté par la matière de mes dessins, il m’intéresse de mêler la rigueur de la documentation et l’élan du fantasme, voire du fantasmagorique, en incorporant aux dessins des personnages disproportionnés, des anachronismes, des inspirations mythiques puisées dans l’esthétique des Tours de Babel, ou des découpes pratiquées dans des gravures de Francisco de Goya et de Piranèse.
Incorporer les traits et les intentions des séries des Prisons Imaginaires de Piranèse et des Désastres de la guerre de Francisco de Goya à cette nouvelle série que l’on peut désormais nommer « La Mutinerie de Fontevraud », c’est lui confier la charge de porter cet évènement imaginaire, mais tant imaginé, avec la même intensité que ces gravures magistrales peuvent encore aujourd’hui susciter.”
BIOGRAPHIE DE NICOLAS DAUBANES
“J’investis des questions essentielles : la vie, la mort, la condition humaine et les formes sociales qui les façonnent. Dans mes derniers travaux, la vitesse, la fragilité, la porosité, l’aspect fantomal des images et des matières, transmettent la pression du passé au croisement de ce qui va advenir.
Mon travail s’inscrit dans la durée, il dessine un chemin, une trajectoire qui tend vers la recherche de la liberté, du dégagement de la contrainte. Je tâche d’expérimenter l’intensité et la rigueur, je joue avec le danger, mental, visuel, physique.”
Nicolas Daubanes réalise un travail autour du monde carcéral (dessins, installations, vidéos) issu de résidences immersives dans les maisons d’arrêt, depuis plus de 10 ans. Depuis ses dessins à la limaille de fer aux monumentales installations de béton saboté au sucre, Nicolas Daubanes s’intéresse au moment combiné de la suspension et de la chute : il s’agit de voir avant la chute, avant la ruine, l’élan vital. La limaille de fer, matière fine et dangereuse, volatile, utilisée dans les dessins et walldrawings, renvoie aux barreaux des prisons, et par extension à l’évasion. Le béton chargé de sucre est inspiré du geste vain des résistants pendant la seconde guerre mondiale pour saboter les constructions du Mur de l’Atlantique. Temporaire et fugitif.
Nicolas Daubanes a exposé dans de nombreuses institutions comme la Villa Arson, les Abattoirs (FRAC Occitanie Toulouse), le FRAC Occitanie Montpellier, le MRAC Sérignan… Les œuvres de Nicolas font partie de collections privées et publiques importantes notamment le FRAC Occitanie Montpellier, le FRAC Provence-Alpes-Côte-d’Azur… Nicolas est lauréat du Prix Yia 2016, du Grand Prix Occitanie d’art contemporain 2017 et du Prix Mezzanine Sud les Abattoirs 2017. Il est lauréat du Prix des Amis du Palais de Tokyo, 2018. En 2019, 2020 il bénéficie d’expositions personnelles au FRAC Provence-Alpes-Côte-d’Azur, au Château d’Oiron et au Palais de Tokyo. En 2021, il est lauréat du Prix Drawing Now. En 2022, il présente un solo show au Drawing Lab, ainsi qu’une grande installation au Centre Pompidou Metz.